Ecriture

Un prof en cache-t-il toujours un autre ?

La mort tragique de Samuel Paty, à qui nous avons rendu hommage aujourd’hui le plus dignement possible, a suscité une vague de pensées d’anciens élèves pour leurs enseignants passés. Du côté prof, on a plutôt avalé la pilule et tenté de la digérer du mieux possible… Mais, ce matin, au hasard d’une micro-réflexion, avec la lecture de la « Lettre aux instituteurs et aux institutrices », j’ai repensé à certains de mes professeurs et je me suis alors demandé : « Un prof en cache-t-il toujours un autre ? ».

Quand on nous demande pourquoi on fait ce métier, c’est difficile de répondre. Je pense même souvent que les personnes en face attendent la réponse suivante : « C’est simple, pour deux raisons : juillet et août. ». Sans doute, un des seuls points qu’on envie à notre métier… Dans la réalité, on pourrait répondre que c’est une vocation, qu’on souhaite transmettre la beauté de notre discipline, qu’on lutte à notre façon contre les inégalités, ou d’autres raisons encore toutes plus justes les unes que les autres…

Mais là où j’ai tendance à penser qu’il y a souvent un prof pour en cacher un autre, c’est que j’ai l’impression que lorsqu’on se lance dans ce métier, c’est souvent grâce à un ou plusieurs profs qui nous ont marqué, souvent positivement. Ces profs qui nous ont accordé plus d’attention que ce qu’on aurait pu attendre, qui nous ont appris plus qu’on aurait pu croire, qui nous ont amené bien plus haut que ce qu’on aurait pu imaginer…

Alors oui, derrière moi, derrière ce prof qui se tient devant les élèves à faire son cours, j’ai l’impression qu’il y en a plein d’autres. Chacun ayant apporté une partie de l’enseignant que je suis. Comme si, pièce après pièce, ils m’avaient aidé à façonner mon costume de prof. La plupart ne savent pas comment ils ont compté pour moi. A leurs yeux, ils n’ont fait que leur travail mais, franchement, qu’est-ce qu’ils le faisaient bien ! Parfois, j’aimerais retourner dans leurs classes, en tant qu’élève, rien que pour le plaisir de revoir ça, d’analyser, et de prendre encore plus que ce qu’ils m’ont déjà apporté…

Je ne sais pas si c’est le cas pour tous les profs (vous pourrez y réfléchir), mais ce qui a forgé le prof en moi, ce sont bien eux. Je ne suis qu’un amoncellement de ce que j’ai trouvé de meilleur en chacun d’eux. Du moins, j’essaie de l’être… En écrivant cet article, j’ai hésité à faire une retrospective de chaque professeur qui m’avait tant marqué mais, sans mentir, la liste aurait été trop longue et j’ai finalement eu trop peur d’en oublier par mégarde…

Alors, tout sincèrement, du plus profond du coeur, merci à tous mes anciens profs d’avoir un jour choisi ce métier car sans vous, tout aurait été certainement différent… J’imagine que vous ne lirez jamais cet article mais si cela venait à arriver et que vous reconnaissez mon nom en tant qu’ancien élève, alors oui, vous pouvez entièrement vous sentir concernés par ces chaleureux remerciements !

Mais, maintenant, j’ai peur. Peur d’inculquer moi-même cette idée dans la tête d’élèves. Et surtout, j’espère que si cela arrive un jour, ils auront encore l’occasion d’apprécier ce métier que je trouve si beau et si difficile à la fois… Et, au final, la raison principale pour laquelle je fais ce métier, elle est simple : pour l’élève, tout simplement ; celui que j’étais et celui que j’ai maintenant en face de moi…

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Sombre début de vacances

Vendredi soir. Début des premières vacances scolaires de l’année. Elles débutaient avec une fatigue certaine mais aussi avec une pensée pour les élèves qui n’apprécient pas ces 15 jours de pause… Certains sont ainsi partis avec quelques occupations (livres, casse-têtes ou jeux de logique) plutôt que de longs devoirs. C’est aussi dans ces moments-là qu’on voit que l’Ecole compte énormément pour certains et qu’on comprend que le confinement a pu être une épreuve difficile à passer.

Puis, il y a eu cette notification m’apprenant la nouvelle tragique de ce collègue assassiné. Plus de mots pour m’exprimer. Juste un sentiment de tristesse, d’impuissance, de révolte. Je n’ose même pas imaginé l’émotion que ressentiront les plus jeunes face à cette horreur…

Alors je me suis demandé si je devais me taire ici et sur le portail du collège, par respect, ou publier les articles que j’avais prévu. Parce qu’il faut continuer d’avancer, parce qu’il ne faut rien lâcher face à l’obscurantisme, parce que la culture, la science, la pensée demeurent indispensables, j’ai finalement pris la décision de rédiger les articles en question… Comme pour ramener de la normalité dans ce début de vacances…

Mais je n’oublie pas. Nous n’oublierons pas.

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Effets secondaires du confinement

Alors que ma messagerie dans l’ENT porte encore les traces des « cours à la maison » avec les anciens échanges virtuels qui y ont eu lieu, je me rends compte que cette période si particulière a laissé des traces sur les élèves et sur leur relation à l’école…

Dans cette période, j’ai trouvé les élèves d’une maturité exemplaire. Alors que les mesures barrières poussaient à la distance, ce sont souvent des liens de confiance qui se sont noués au travers des écrans. Je n’oublie pas ceux qui avaient l’amabilité de venir aux nouvelles, de remercier chaque correction apportée à leur travail. Je n’oublie pas ceux qui sont revenus dans les premiers en mai, malgré l’angoisse, qui ont respecté toutes les mesures demandées et qui ont gardé le sourire derrière le masque. Je pense que mon regard a changé aussi. Ils ont surmonté quelque chose dont je ne sais même pas si j’en aurais été capable en tant qu’élève.

Je n’avais donc pas envie de m’attarder sur les effets plutôt négatifs du confinement comme la difficulté à retrouver de bonnes habitudes d’apprentissage. Une période aussi longue, avec des modalités aussi différentes pour les cours, il y a de quoi être perturbé lors du « retour à la normale ». Je sais qu’ils parviendront à se ré-adapter (ils l’ont très bien fait durant le confinement) et je voulais plutôt me focaliser sur trois bonnes « surprises », trois portraits d’élèves, parmi tant d’autres, que le confinement a changé :

  • Il a quitté le collège pour aller en troisième prépa-pro. Sa bonne volonté égalait ses difficultés et, malgré toute l’énergie que nous mettions, les progrès étaient difficiles… Le confinement est venu stopper net ce tutorat et j’ai essayé de poursuivre l’aide individuelle à distance même si ce n’était pas facile. J’espère que toutes les graines d’estime de soi semées ont germé et lui ont permit d’avancer. Aux dernières nouvelles -car il a eu la gentillesse d’en donner en cette rentrée-, il se sent bien dans son nouvel établissement et je pense qu’il va poursuivre ses efforts… De mon côté, je suis rassuré. Entre autres, je lui avais fait lire ce poème dans les deux sens et il ne s’était reconnu que dans la première lecture. J’espère qu’aujourd’hui il a appris qu’il vaut bien plus que cela et que c’est le deuxième sens de lecture qu’il doit retenir… Un message qui m’a vraiment touché : « Merci Mr, vous aussi vous gérez ».
  • Il a quitté le collège lui aussi mais pour rejoindre le lycée. Un départ normal mais qui a eu une autre saveur cette année (la coupure a semblé plus brutale avec le distanciel)… Pendant le confinement, je me rappelle avoir du faire quelques remarques désagréables pour du travail non rendu à temps (dur de travailler en autonomie…). Je n’étais d’ailleurs pas forcément délicat dans la façon de le dire tant la période a été stressante pour moi aussi. Puis, il y a eu des aides personnalisées à distance et au hasard d’une simple question, nous nous sommes découverts une passion commune : la création d’énigmes. J’ai pris l’initiative de créer un espace de travail pour pouvoir en échanger sur l’ENT et cela a été une expérience très positive. Je n’ai d’ailleurs plus jamais eu un seul travail en retard et j’ai pu lui faire découvrir de nombreuses notions par le jeu. Il m’a aussi surpris, souvent, par sa culture et son intelligence (même si je n’en doutais pas). Aujourd’hui, j’ai droit à des nouvelles régulières et je suis vraiment fier du parcours qu’il continue de mener…
  • Il est resté au collège (il en faut bien pour continuer à travailler…) mais il s’est métamorphosé pendant le confinement. Il avait failli ne pas revenir en juin et c’est suite à un message rassurant de ma part (en tant que professeur principal) qu’il était revenu. Je sais que les mots que j’avais choisi sur ce moment là ont été importants pour lui à la façon dont son regard et son attitude ont changé depuis. En classe, alors qu’il laissait filer le temps lorsqu’il ne comprenait pas, je le vois maintenant sortir le cahier de cours en autonomie et ne pas hésiter à demander de l’aide quand cela ne suffit pas. Il a démultiplié les efforts, il a prit confiance en lui aussi. Si bien que je me demande même ce que j’avais bien pu rater avant le confinement pour que ça ne fonctionne pas aussi bien… A la fin de l’année, j’ai conçu mes diplômes de « Suivi des cours à la maison » remis à la classe notamment pour lui, pour qu’il puisse se souvenir de ces progrès.

De mon côté, je sais une chose : même si j’ai essayé de faire au mieux, je ne suis pas vraiment fait pour les cours à distance… Et si je n’avais pas eu tous ces retours, tous ces échanges, j’aurais trouvé la période bien morose…

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