1, 2, 3, 5, 6, 9… et après ?
Cette question est celle qu’a posé Michèle AUDIN pour sa conférence d’inauguration lors des Journées Nationales de l’APMEP. Cette conférence m’a particulièrement touché car la réponse apportée est poétique.
Cette présentation, que je vais tenter de retranscrire au mieux par la suite, a présenté une partie du travail des Oulipiens et des Oulipiennes et je me suis senti dans mon élément à voir ces personnes utiliser les mathématiques pour écrire… Je me suis retrouvé dans l’exercice de style que je m’imposais parfois sans le nommer…
Avec cette conférence, Michèle AUDIN nous a présenté des extraits du manuel de l’Oulipo ; l’abécédaire passionnément définitif. Et il faut dire qu’on va sûrement aller l’acheter avec ma chérie car elle s’est justement engagée dans le projet « Twoulipo » avec sa classe. Cette conférence tombait à pic pour bien comprendre l’esprit qui anime l’Oulipo…
A comme Acronyme
OULIPO est l’acronyme de « OUvroir de LIttérature POtentielle ». Pour expliquer au mieux ce qu’est l’OULIPO, Michèle a pris l’exemple du sonnet (qui existait bien avant). L’Oulipo va donner des règles à respecter que l’écrivain suivra ensuite. Pour le sonnet, on peut résumer les règles ainsi :
Le sonnet est un poème de 14 vers répartis sur quatre strophes. Les deux premières contiennent chacune quatre vers construits dont les rimes suivent le schéma ABBA… Les deux dernières strophes contiennent chacune trois vers dont les rimes suivent le schéma CCD EDE.
On voit ici que l’on a écrit aucune littérature mais on a posé les bases qui vont permettent ensuite aux écrivains de produire leurs textes. C’est cela l’esprit de l’Oulipo : jouer avec les règles pour permettre des exercices de style dans l’écriture… L’Oulipo a par ailleurs été fondé en 1960 par Raymond Queneau (auteur de « Exercices de style » et « Cent mille milliards de poèmes« ) et François Le Lionnais.
En écrivant cet article, je ne peux m’empêcher de penser à mes collègues de français et professeure documentaliste pour qui les mathématiques demeurent un mauvais souvenir (« la bête noire ») alors qu’elle est la base de nombreux écrits…
B comme Boule de neige
Une boule de neige de longueur n est un poème dont le premier vers est fait d’un mot d’une lettre, le second d’un mot de deux lettres, etc…. Le n-ième vers a n lettres. Une boule de neige fondante commence par un vers de n lettres, après quoi le nombre des lettres diminue d’une unité à chaque vers. Il existe des boules de neige métriques (Victor Hugo : les Djinns) ou des boules de neige de mots comme celle qui nous a été présentée :
Ensemble.
Michèle Audin (2014). OULIPO L’Abécédaire provisoirement définitif
Nous deux.
Toi et moi.
Nous pourrions nous aimer.
Nous désirer et nous enlacer.
Si tu voulais nous nous aimerions.
Ou bien nous resterions indifférents.
Sans émoi sans effroi.
Toi ou moi.
Tous deux.
Seuls.
F comme Figure géométrique
Il s’agit d’écrire un texte dont l’histoire va décrire une figure géométrique. Nous avons eu droit à une histoire potagère qui décrit le triangle et ses médianes, reproduite ci-dessous :
Or, il y avait une fois, et c’était au printemps, une carotte nommée Julie, un poireau appelé Hercule et une pomme de terre qui répondait (quand on l’appelait) au prénom de Charlotte. Ils vivaient aux trois bouts d’un jardin potager, dans la plus grande amitié avec beaucoup d’autres légumes. Hercule et Charlotte se rendaient souvent chez le célèbre corniste Roland (un laurier), qui vivait à mi-chemin de chez eux et avec qui ils faisaient de la musique de champ. Charlotte jouait aux petits chevaux avec Julie et un beau céleri du nom de Cédric. Julie et Hercule se rencontraient parfois, le soir, à la sortie du rang de petits pois, pour aller boire un sirop d’orgeat chez Ciboulette, « c’est gai, c’est vif, ça pirouette », chantonnait celle-ci.
Michèle Audin (2014). OULIPO L’Abécédaire provisoirement définitif
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des potagers possibles. Mais voilà qu’un beau jour (enfin, pas si beau que ça), Hercule et Cédric avaient mal au dos et, sur le conseil de leur médecin, se rendirent à la piscine centrale, où l’on venait d’ouvrir un jacuzzi. Ciboulette et Charlotte avaient décidé, chacune de son côté, d’aller faire un tour à vélo et, constatant l’inclémence du temps (à vrai dire, il pleuvait des trombes d’eau), changèrent brutalement, mais sagement de programme. Au même moment, coïncidence troublante, Roland partit se promener au hasard des sillons et Julie entama son jogging dominical (malgré la pluie), elle courait vers Roland, mais elle allait deux fois plus vite.
De sorte que ce jour-là, au moment précis où les quatorze coups de midi sonnaient au clocher de Sainte-Gudule, poireau, carotte et pomme de terre, avec céleri, laurier et ciboulette, se retrouvèrent tous ensemble dans l’eau bouillonnante. Et une soupe de légumes bien chaude au déjeuner, lorsqu’il pleut des cordes, c’est vraiment bon.
M comme Mise en facteur commun
Certaines syllabes communes à plusieurs mots peuvent être mises en facteur commun afin d’éviter leur répétition. Voici un exemple extrait du dictionnaire oulipien :
Pi
Paul Fournel (2014). OULIPO L’Abécédaire provisoirement définitif
(Je me sens fla-
Car mon amie est une chi-
Et que je n’ai pas fait ma kinésitéra-
Je vais me faire un petit géné-
Et une petite pomme d’A-
Qui me donneront un moment de ré-
Parfois je surchauffe sous le ké-
Je vais me retirer sous mon ti-
Au bord de mon Mississi-
Assis sur mon ta-
C’est une bonne théra-
Qui vaut une thalassothéra-
C’est mon moment de ré-
Avant ma séance de touche pi-)π
J’ai tenté d’écrire ma propre mise en facteur commun au sujet des journées nationales de l’APMEP (avant tout pour m’amuser) :
(Pour mettre en valeur les mathéma-
@DesmathsFr
Rejoignez des collègues loin des cri-
Pour des conférences ludiques et poé-
Avec des petites touches humoris-
Dans des lieux agréables et pra-
Pendant quatre journées fréné-
Durant ces moments hypno-
Retrouvez grâce à de superbes logis-
Des intervenants vraiment charisma-
Partageant leurs approches didac-
Mais aussi des exposants embléma-
Pour de beaux achats dans leurs bou-
Bref, nul besoin de faire de grandes statis-
Pour savoir que ces journées sont fantas-)tiques
S comme Sextine et compagnie
A l’origine, la sextine est inventée au XIIIe siècle par le troubadour Arnaut Daniel. Adoptée par Dante et Pétrarque, elle a été employée, jusqu’à nos jours par de nombreux poètes. On choisit d’abord six mots-clefs ne rimant pas. Le poème se compose de six strophes de six vers, qui se terminent par un des six mots-clefs.
Il s’agit alors d’écrire chaque strophe en permutant les six mots-clefs de façon spiralaire :
Ainsi, de l’ordre 1,2,3,4,5,6 on passe à l’ordre 6,1,5,2,4,3 en suivant la spirale et ainsi de suite… En voici un exemple que j’ai écrit spécialement en guise de remerciement pour l’APMEP :
Tout commence par ton adhésion à l’APMEP
@DesmathsFr (2021). Twitter
Pour une durée précise de 365 journées ;
Avec un peu d’argent que tu partages,
Tu pourras trouver beaucoup d’idées
Face aux problèmes que tu rencontres
Dans l’enseignement des mathématiques…
Tu recevras des publications mathématiques
Envoyées avec passion par l’APMEP ;
Les articles comme de belles rencontres
Accompagneront tes longues journées
En remplissant ton esprit de nouvelles idées ;
Si bien qu’avec tes élèves, tu les partages…
Si tu recherches encore plus de partages
Avec la communauté des mathématiques
Je vais te confier la meilleure des idées :
À la fin de l’été, va sur le site de l’APMEP
Et inscris-toi pour participer à leurs journées
En notant bien le point de rencontres…
Comme tous, voilà le dilemme que tu rencontres :
Choisir conférences et ateliers pour les partages
Du planning des trop courtes journées,
Ébahi par la liste de ces passionnés de mathématiques
Qui ont généreusement accepté pour l’APMEP
De venir présenter leurs meilleures idées…
Comme une gigantesque boite à idées,
Tous ces collègues que tu rencontres
Lors des journées nationales de l’APMEP,
Du matin avec le café que tu partages
Jusqu’à l’atelier où tu fais des mathématiques
Enchanteront forcément tes journées…
Ah, qu’elles étaient belles ces journées !
Tellement de nouvelles et brillantes idées…
Tellement d’amour pour les mathématiques…
Tellement de sympathiques rencontres…
Merci à tous les intervenants pour leurs partages
Et merci aussi à tous les bénévoles de l’APMEP !
Ce qui est mathématiquement beau, c’est qu’on obtient 6 ordres différents pour les 6 strophes alors que ça ne fonctionne pas avec 4 strophes de 4 vers et 4 mots clefs par exemple. C’est pour cela que les Oulipiens ont créé et étudié ce qu’ils ont appelé les nombres de Queneau.
C’est aussi possibles avec trois strophes de trois vers en utilisant trois mots-clés comme le montre cet exemple présenté lors de la conférence :
Ce triangle a trois côtés
Jacques Roubaud
Il possède aussi trois angles
Est-il équilatéral ?
S’il est équilatéral
Égaux sont ses trois côtés
Égaux sont ses trois angles
Mais pourquoi compter ses angles ?
Il est équilatéral
Dès qu’égaux sont ses côtés
X comme X prend Y pour Z
On représente cette relation ternaire comme une multiplication, xy=z, dont on se donne la table. Une table de multiplication étant donnée a priori, on peut utiliser d’autres prédicats : x complote avec y contre z, par exemple. Les propriétés algébriques de la multiplication choisie s’interprètent en événements d’un récit.
Z comme Zeugme
Le zeugme est la figure de rhétorique (fautive mais) irrésistible que l’on définit d’ordinaire en en donnant facilement un exemple :
Je t’écris avec amour et un stylo
On en a vu un très joli visuel d’Etienne Lécroart (« J’ai tiré ») que j’aurais aimé partagé ici mis que je ne retrouve pas… Claire a réussi à en capter une portion visible ici sur son blog… J’adorerais que l’auteur le mette à disposition si, par hasard, il me lisait…
En conclusion…
Merci à Michèle AUDIN pour cette chouette conférence et à tous les Oulipiens plus généralement pour le travail qu’ils fournissent. De nombreuses définitions sont copiés de leur excellent site. L’ayant entre les mains, je ne peux qu’encourager tout le monde à se procurer l’abécédaire de l’Oulipo précédemment évoqué… C’est une vraie mine d’or ! Et maintenant, j’ai encore plus hâte de faire l’atelier d’Olivier Longuet sur l’Oubapo…
Depuis que j’ai trouvé le temps et l’abécédaire (#zeugme), cet article est désormais provisoirement définitif (ou définitivement provisoire si vous préférez)…